Un réanimateur de Lyon raconte son quotidien sur Facebook comme un «devoir de mémoire». Pour ce jeune médecin de Lyon en première ligne, le réseau social et son blog sont devenus un moyen de partager ses journées de travail à l’hôpital. Mais aussi d’évacuer par l’écriture toute la pression accumulée.
Rodolphe Lelaidier est un jeune médecin réanimateur à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon, en première ligne face au coronavirus. Chaque soir, même rituel : il se sert un rhum vieux ou une tisane – tout dépend de son humeur – et raconte le quotidien de son service.
Tout a commencé par un message posté sur les réseaux sociaux au début du confinement. «Franchement, ce n’est pas souvent qu’on a la trouille quand on a l’habitude de s’occuper de patients qui ont fusionné avec le pare-chocs d’en face». Mais là, la peur était bien là.
Rodolphe a alors simplement demandé sur Facebook aux internautes de rester chez eux, avec cet argument massue : «Vous êtes mieux chez vous que chez nous.» Son post a ainsi été partagé plus de 95.000 fois sur différentes pages du réseau social. Sans doute galvanisé par ce succès d’audience, mais aussi parce qu’il «avait des choses à dire», il a continué son journal de bord de cette crise sanitaire sans précédent, jusqu’à ouvrir un blog.
Il y raconte sa vie de «MAR : Médecin-Anesthésiste-Réanimateur». Ses jours de garde, «version morceau de beurre rance sur tartine de pain rassis». Ses jours de repos, il parle de montagne, du tour du massif de la Meije qu’il aurait dû faire juste avant. Avant que le virus, ce «truc de 140 nanomètres», n’arrive dans les vies des Français. Il décrit la vie de son service – son «village». Mais aussi les nuits, la ventilation mécanique, les comités d’éthique où un médecin de l’extérieur vient décider de la suite des soins à donner ou non à un patient.
On ressent «la soif, la douleur, la peur de mourir, l’absence d’intimité et de contact avec ses proches». Les bâtonnets au citron pour faire passer un instant le sentiment de soif inextinguible des malades intubés. Il explique ses petites manies : ouvrir les volets en grand dans les chambres ou éteindre toute machine inutile. Des détails sans doute anodins, mais auxquels il s’accroche car ils lui permettent de mieux cerner le jour de la nuit.
Dans le flot de récits sur cette crise, celui-ci «fait palpiter d’humanité ce monde si technique», lui répond Corinne sur Facebook. Et donne «l’impression de lire le vécu d’un de nos patients» ajoute Nora, soignante dans le service de Rodolphe. La plupart de ses fans sont des femmes, il en convient.
«Perte de confort»
À 30 ans., ce gaillard d’1m86 aux yeux bleus-verts porte un bonnet en tissu jetable bleu avec son prénom écrit dessus. Les patients ne voient que ses yeux. La vague est arrivée ici dix jours après le début du confinement. Le plus éprouvant fut la semaine précédente. Tout préparer et former une centaine de personnes sur un mannequin. Car les patients Covid-19 qui arrivent en «réa» doivent être placés sous respiration artificielle extrêmement rapidement, afin d’éviter une trop grande proximité avec un malade très contagieux à la bouche grande ouverte.
Je mets un peu de fiction et ça me permet une mise à distance
Rodolphe Lelaidier, réanimateur à l’hôpital Édouard Herriot de Lyon
«Ici, il n’y a pas eu de perte de chance et on n’a pas eu à faire des choix impossibles, explique-t-il à l’AFP. Mais on a perdu en confort de vie». Des patients non-Covid ont été placés dans des espaces ouverts. «On a peur d’avoir généré du traumatisme chez eux et les plus traumatisés, on sait qu’on ne les revoit pas». Alors un soir, il écrit pour demander des bouchons d’oreille, des casques anti-bruit, des masques occultants. Mobilisation immédiate des internautes.
Pourquoi écrire tout cela ? Confiné, il ne peut plus évacuer son stress par le sport. «Alors, j’écris. Je mets un peu de fiction et ça me permet une mise à distance», reconnaît Rodolphe qui préfère garder le meilleur de la situation, l’intelligence collective. «Je n’ai pas l’énergie pour m’arrêter sur les choses négatives». «Je ne suis pas aveugle pour autant». Il voit bien que la situation de l’hôpital est proche de la saturation. Évoque aussi sa crainte d’un «burn-out» s’il continue comme ça. De la science, «un peu paumée en ce moment», il parle volontiers. Il veut juste laisser une trace de ce moment historique. Le «devoir de mémoire» résonne en lui. Au passage, il aimerait bien être publié.
Désormais, il n’a plus la «trouille» ; il est juste «inquiet». Vont-ils tenir sur la durée ? Car les réanimateurs n’en ont pas fini avec le Covid-19. Et les autres patients, les accidentés de la route, les victimes de rixes vont bientôt revenir…
A Paris, un autre membre du personnel soignant a également décidé de livrer son témoignage. Le journal du confinement de Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon, sera ainsi publié le 19 août par les éditions JC Lattes. Le médecin, qui tient ce carnet de bord depuis cinq mois, y raconte les coulisses de l’hôpital. Il y explique aussi comment les soignants ont dû s’organiser et s’adapter face à la propagation du coronavirus.
Par AFP agence