Les trois plateformes de la Biennale de Lyon 2013

Auparavant, il y avait la Biennale,c’est-à-dire l’exposition internationale. Aujourd’hui vous parlez de trois plateformes : de quoi s‘agit-il ?

En effet, autour de l’exposition internationale qui est le coeur de la Biennale, nous avons créé deux plateformes : Veduta et Résonance, qui n’ont pas d’équivalent dans les autres Biennales internationales. Chacune de ces trois plateformes a désormais son propre guide. Trois plateformes pour une seule Biennale. Mais bien sûr, l’exposition internationale en est l’âme et le gouvernail. Cette année, Gunnar B. Kvaran l’intitule : Entre-temps… Brusquement, Et ensuite . Ce titre est le début d’un récit dont le public peut écrire la suite. L’exposition présente les oeuvres de 77 artistes dans cinq lieux, avec deux weekends, l’un consacré à la performance et l’autre à la vidéo. Enfin un troisième week-end au cours duquel nous laissons la parole à des robots qui vont à leur manière nous raconter la Biennale (organisé avec le concours d’Awabot). En plus des trois lieux traditionnels que sont la Sucrière, le macLYON et la Fondation Bullukian, j’ai ajouté deux lieux nouveaux, à Lyon, proches du quartier Renaissance et des théâtres gallo-romains, et faciles d’accès : il s’agit de l’église Saint-Just et de la Chaufferie de l’Antiquaille, à 400 mètres l’une de l’autre qui accueillent chacune un artiste, et nous racontent deux histoires apparemment éloignées : celle de l’esclavage et celle de la route mondiale des musiques.
Et les deux autres plateformes ?
La seconde plateforme s’intitule Veduta, ce qui signifie vue en Italien. C’est un terme utilisé par les peintres de la Renaissance, et c’est pour nous comme une petite fenêtre ouverte sur les récits du monde. Veduta est un projet AMATEUR. Par amateurs, j’entends ceux qu’au XVIIIe siècle on appelait les curieux ou les connaisseurs. Par conséquent Veduta est un projet ouvert à tous les amateurs curieux de tous âges et de toutes appartenances sociales. En 2013 Veduta se déroule dans six communes du Grand Lyon (Lyon, Grigny, Oullins, Saint-Priest, Givors et Vaulx-en-Velin) : ce sont des résidences d’artistes, des ateliers, des expositions, des enquêtes qui sont conçues pour et par des amateurs qui en font le récit. Nous avons créé une petite centaine de maisonvedutas, trouvées ou construites, dans des montées d’escaliers, des musées, des souterrains ou encore des églises ou des lavomatiques ; et 70 appartements privés (qui sont autant de maisonvedutas ) accueillent 70 oeuvres de chacun des artistes de l’exposition internationale pendant toute la durée de la Biennale. Ce sont donc 70 expositions dont les propriétaires nous raconteront l’histoire à l’issue de la Biennale. En fait, Veduta est un petit laboratoire d’expérimentation visuelle dont les amateurs sont les héros.
Résonance est donc la 3e plateforme ?
Nous avons créé Résonance en 2003. À l’origine, il s’agissait avant tout d’un « coup de projecteur » sur la création en Rhône-Alpes qui, tout au long de l’année, manifeste une certaine énergie. Aujourd’hui, Résonance réunit des expositions, des performances, des concerts. Ces projets sont des initiatives portées par des artistes, des galeries qui ont particulièrement retenu mon attention. Ce sont plus de 200 événements qui se déroulent en 2013. Cette année nous avons mis l’accent sur quinze Focus dont certains sont conçus en étroite collaboration avec la Biennale. C’est par exemple le cas de Rendez-Vous, exposition consacrée à la création émergente qui relève d’une collaboration entre l’Institut d’Art Contemporain, l’École Nationale des Beaux-Arts de Lyon et le Musée d’art contemporain. Ces quinze Focus présentent toutes les formes d’art : la photographie (galerie Le Réverbère), l’installation (La Salle de Bains, La BF15), mais aussi la sculpture avec les dernières pièces de Didier Marcel au Vog à Fontaine (Isère), ou encore les oeuvres récentes d’Anne et Patrick Poirier au Couvent de la Tourette, édifice conçu par Le Corbusier. Je ne peux hélas pas tout citer et vous invite donc à vous reporter au guide Résonance. L’édition 2013 de la Biennale fait preuve d’une belle vitalité, et s’il est probable que les oeuvres et leurs récits visuels ne changeront pas le monde, ils changeront à coup sûr notre regard sur ce monde.

Gunnar B. Kvaran, commissaire de la Biennale de Lyon 2013


La Biennale de Lyon 2013 rassemble et présente des artistes du monde entier qui travaillent dans le champ narratif et expérimentent, à travers leurs oeuvres, les modalités et les mécanismes du récit. L’exposition met ainsi au premier plan l’inventivité dont font preuve les artistes contemporains pour raconter autrement des histoires neuves, en défaisant les codes narratifs mainstream, les mises-en-intrigue prêtes à l’emploi.
Ces artistes donnent à leurs oeuvres-récits des formes extrêmement variées, utilisant une multiplicité de registres, matériaux et techniques ou technologies. L’exposition mêle ainsi sculptures, peintures, images fixes et animées, arrangements de textes, de sons et d’objets dans l’espace, performances, etc. Elle souligne la manière – les manières, plutôt – dont les jeunes artistes aujourd’hui, selon qu’ils travaillent en Europe, en Asie, en Amérique latine, en Afrique ou en Amérique du nord, imaginent les narrations de demain : des narrations qui négligent les suspenses et les excitations de la fiction globalisée (hollywoodienne, télévisuelle, ou celle de best-sellers de la littérature mondiale) ; des narrations inédites qui défamiliarisent le monde, lui restituent son étrangeté et sa complexité radicales si souvent aplanies et étouffées par les mises-en-récit conventionnelles ; des narrations artistiques qui nous donnent à voir et à comprendre le monde comme toujours neuf et plus intelligible.
Ainsi, une multitude d’histoires, de natures et de genres très différents, que les artistes ont développées à partir d’expériences réelles ou de constructions imaginaires, d’anecdotes tirées de la vie quotidienne aussi bien que de phénomènes sociaux ou d’événements historiques considérables, vont se disséminer et s’entrecroiser, sans aucune hiérarchie ou intention méta-narrative, sur les différents sites qui accueillent cette année la Biennale : la Sucrière, le Musée d’art contemporain et la Fondation Bullukian, auxquels s’ajoutent pour cette édition deux nouveaux lieux, la Chaufferie de l’Antiquaille et l’église Saint-Just. Certaines oeuvres, et les histoires qu’elles véhiculent, s’immisceront jusque dans des maisons et appartements privés de Lyon pendant toute la durée de la Biennale, et se prêteront alors aux modes de présentation et de diffusion que les habitants de ces lieux d’exposition insolites souhaiteront inventer pour chacune d’entre elles. Ce sont autant d’histoires que les visiteurs pourront s’approprier et, à leur tour, raconter, en les énonçant autrement, en les développant probablement un peu, et en les déformant parfois sans doute aussi. Elles se propageront selon diverses modalités, au gré de conversations, sur le mode de la rumeur, ou à l’aide des nouvelles technologies des réseaux sociaux, donnant lieu à des récits imprévisibles – augmentés, discontinus et fragmentaires.
Si elle souhaite, avant toute autre chose, être une manifestation artistique collective, plurielle et partageable, cette nouvelle édition de la Biennale de Lyon n’en demeure pas moins complètement subjective et pleinement assumée comme telle. La liste des artistes qui la composent retrace l’itinéraire qui m’a conduit à lui donner sa forme actuelle. D’abord ce sont des artistes reconnus comme Erró, Yoko Ono, Alain Robbe-Grillet, Robert Gober, Jeff Koons, Matthew Barney, Fabrice Hyber, Tom Sachs, Ann Lislegaard et Bjarne Melgaard, avec lesquels j’ai travaillé de manière rapprochée et dont les pratiques expérimentales m’ont révélé de nouvelles configurations narratives dans l’art contemporain. Ces artistes m’ont impressionné par leurs façons d’inventer, avec leurs oeuvres, une politique de la narration visuelle, en faisant apparaître comme contingent ce qui nous est présenté comme naturel et inévitable, en contestant le mythe de l’ordre naturel du récit qui sert à tout ordre social, moral, politique pour s’établir et se prolonger.
Mais une biennale artistique doit témoigner de l’état de l’art actuel. Pour ne jamais céder au sommeil des pensées closes, conscient de la nécessité d’être constamment en quête de nouveaux modes d’interprétation et de narration du monde, j’ai donc choisi de présenter toute une nouvelle génération d’artistes découverts ces dernières années au cours de mes recherches et nombreux voyages à travers le monde, et qui à leur tour renouvellent les manières de restituer toute la complexité du monde d’aujourd’hui à travers des expérimentations narratives qui prennent forme au-delà des mots.
Le projet de la Biennale de Lyon 2013 travaille la question de la Biennale d’art contemporain comme la construction d’un monde commun, et non donné. C’est la raison pour laquelle le titre choisi pour la Biennale 2013 évite soigneusement d’annoncer une synthèse descriptive des oeuvres présentées, mais cherche au contraire à les distraire d’une assise explicative commode qui trop souvent contribue à contredire leur polysémie fondamentale. À travers le choix de ce titre qui met l’accent sur les procédés de mise-en-récit, il s’agit d’affirmer la nécessité pour une exposition de battre au rythme de son objet : ici, une attention renouvelée à la forme, à la forme comme productrice de sens, et à l’idée que dans un récit, c’est la façon de raconter, de faire récit, l’invention d’une forme narrative nouvelle qui toujours prévaut.
 

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